Les chercheurs s’interrogent depuis des décennies sur l’origine d’une des plus étonnantes caractéristiques de Mars : la planète est asymétrique, et l’hémisphère nord de Mars est une plaine qui est cinq à dix kilomètres plus basse que l’hémisphère sud. L’une des hypothèses est qu’au début de l’histoire de la planète, il y a 4,5 milliards d’années, un bolide de près de 2000 kilomètres de diamètre a heurté sa surface de façon oblique, manquant de détruire la planète… mais produisant un gigantesque bassin d’impact au Nord : le bassin de Borealis.
Jusqu’à présent, cette hypothèse relevait de la théorie, elle est dorénavant étayée par des observations récentes, publiées dans la revue Nature. Cette nouvelle étude apporte des informations sur l’évolution géologique de la planète rouge, qui aurait pu abriter une niche hydrothermale suite à cet impact géant, et considérée comme propice à l’apparition de la vie. Ces observations peuvent également éclairer sous un jour nouveau les connaissances des ressources métalliques martiennes.

Un gigantesque choc a produit le bassin d'impact Borealis.
L'étude a commencé un peu par hasard au Centre de recherches spatiales polonais, en examinant certaines images à très haute résolution des deux zones les plus profondes du grand fossé martien, Valles Marineris. Ces images qui n’avaient pas encore été interprétées, ont été complétées par un modèle topographique d’une précision métrique calculé à Grenoble.
Sur les données du télescope orbital HiRISE, de la mission américaine Mars Reconnaissance Orbiter, l’œil du tectonicien a repéré, sur quelques dizaines de kilomètres carrés, un système complexe de déformation par failles qui ne peut se développer que dans des niveaux de la croûte profonds de plusieurs kilomètres, où la température, de plusieurs centaines de degrés, est suffisamment élevée pour commencer à rendre la roche malléable.

Il s’agit de la première fois que ce type de déformation, appelé "zone de cisaillement cassant ductile" (les morceaux se fracturent et bougent comme dans du miel), est identifié sur Mars. En effet, sur Terre, les mouvements verticaux des plaques tectoniques s’associent à l’érosion, ce qui permet de voir ce type de structures, par exemple au Canada, en Australie ou en Finlande, aux limites d’anciennes plaques tectoniques.
Sur Mars, il n’y a pas de tectonique des plaques et seules les conditions exceptionnelles de Valles Marineris sont favorables. Bien que ces cisaillements soient des structures majeures de la croûte martienne, longues de plusieurs centaines, voire des milliers de kilomètres, pour des largeurs d’un à plusieurs kilomètres, ils sont majoritairement "cachés" dans la croûte.
Les mouvements de cisaillement sont parallèles à la marge du bassin de Borealis. Les cisaillements feraient partie de "l’anneau de failles" engendré par le cataclysme. Cette interprétation d’un faisceau grandissant d’observations permet de résoudre différentes énigmes sur le passé ancien de la croûte martienne.
Ainsi, de longs faisceaux de fractures d’origine non expliquée au nord de Valles Marineris pourraient être une "réactivation des cisaillements". Trois chaînons montagneux très anciens près de Valles Marineris, sur le plateau d’Ophir, tout aussi énigmatiques, s’alignent aussi parallèlement à la limite du bassin de Borealis et s’expliqueraient naturellement comme vestiges d’anneaux, similaires aux anneaux formés par l’impact autour du bassin de Mare Orientale sur la Lune.

À proximité des cisaillements, les chercheurs ont aussi identifié une longue bande de roche broyée, ou "mégabrèche", dont certains blocs ont des dimensions approchant la centaine de mètres. Seuls de très gros impacts de météorites peuvent dégager l’énergie suffisante à une telle fragmentation de la roche. On sait que cette brèche est très ancienne car elle est recouverte de laves datées à 3,4 milliards d’années. De plus, les chutes de météorites pouvant créer un impact de cette taille sont extrêmement rares aujourd’hui, mais étaient plus fréquentes au moment de la formation du système solaire.
Un dernier aspect concerne les observations récentes du sismomètre de la mission InSight. Le 25 août 2021, cet instrument a observé un séisme dont la localisation est en accord avec la zone de cisaillement identifiée. Il est donc possible que la croûte martienne du bord du bassin de Borealis continue à se déformer à l’heure actuelle. Ainsi l’existence de l’impact de Borealis passe de l’hypothétique au vraisemblable, et ça a des conséquences sur les recherches de traces de vie martienne.

Hebes Chasma, dans le canyon de Valles Marineris sur Mars. La distance entre les deux sommets des falaises aux extrémités de l’image est de 65 kilomètres, le dénivelé maximum est de 8700 mètres. Crédits: ESA/DLR/FU Berlin
Les données du spectromètre de Mars Reconnaissance Orbiter et une nouvelle méthode d’identification de mélanges de minéraux développée à Orsay ont permis de déterminer la composition de la roche déformée. Les études minéralogiques dirigées à Wroclaw en Pologne grâce à cette méthode dévoilent une roche magmatique sombre, de type gabbro, dans laquelle des fluides (eau, CO2) ont circulé. Ces fluides à l’état gazeux et liquide, appelés "fluides hydrothermaux", se déplacent dans les fractures de la roche sous l’effet de la pression et la température. Pour alimenter les systèmes hydrothermaux martiens à l’époque de l’impact, vers 4,5 milliards d’années, l’eau ne manquait pas : il est bien établi que la croûte de Mars devait contenir de l’eau en abondance. Sous l’effet de la chaleur dégagée par l’impact, la mise en route d’une circulation hydrothermale était inévitable.
Les modèles existants montrent que cet hydrothermalisme aurait pu se poursuivre durant des millions d’années. Justement, la stabilité sur le long terme des environnements hydrothermaux est aujourd’hui considérée comme la clé de l’origine de la vie. Des systèmes hydrothermaux développés dans la croûte martienne fissurée par l’impact de Borealis favoriseraient la genèse et la mise à l’abri de molécules organiques dans des conditions microclimatiques durablement favorables, à l’inverse des hostiles et fluctuantes conditions climatiques de la surface, où elles seraient à la merci des variations extrêmes de température, d’hygrométrie, de vent, d’ensoleillement ou de radiations solaires et galactiques.

Mars est asymétrique : son altitude moyenne au nord de la dichotomie est inférieur à celle du sud. On voit aussi les sites étudiés par l’équipe de recherche, à l’intérieur du système de canyons de Valles Marineris, et repérés par des étoiles. Crédits: Daniel Mège
Les ressources métalliques de cette région intéressent aussi les chercheurs. Sur Terre, 30 % de l’or des gisements exploités provient de sites géologiques hydrothermaux du type identifié ici dans Valles Marineris. On y trouve associés des métaux de base et des métaux rares : cuivre, étain, bismuth, molybdène, tungstène, argent, or, platine et autres. De tels gisements ont peu de chances de se retrouver ailleurs à la surface de Mars, en l’état actuel des connaissances. S’il apparaît déraisonnable de les ramener sur Terre, pour des raisons évidentes de coût et de pollution, on peut imaginer dans un futur très lointain les exploiter sur place.
Pour l’instant, aucune trace de vie n’a été découverte sur Mars, mais le retour d’échantillons avec la mission Mars Sample Return à l’horizon 2031 pourrait bien nous révéler des surprises. Aller chercher des indices d’activité biologique ancienne sur Mars dans Valles Marineris pourrait être une autre très bonne idée. Source:
theconversation.com